Tourmente tunisienne 1942

LA TOURMENTE TUNISOISE 1942-43

 

Habib Bourguiba et ses six compagnons sont internés au Fort Saint-Nicolas de Marseille depuis le 27 mai 1940:

1.  Ali BELHAOUANE

2.  Salah Ben YOUSSEF

3.  Sliman Ben SLIMANE

4.  Hédi NOUIRA

5.  Mongi SLIM

6.  Mahmoud BOURGUIBA.

Bénéficiant du statut de détenu politique à partir du 1er trimestre 1941, ils ont de nombreux contacts avec l’extérieur; Bourguiba reprend langue avec ses anciens amis de gauche dont certains sont à Vichy (Gaston Bergery, ambassadeur à Ankara, Me Berthouin son avocat d’avant guerre passé du communisme au pétainisme).

Bourguiba peut donc se forger une opinion documentée sur l’évolution de la guerre et nouer de nombreux fils; ses lettres en faveur d’un engagement du Destour en faveur des Aliés sont acheminées sans trop de problèmes, y compris celle adressée à Habib Thameur alors interné en août 1942 à Fort-Saint ou celle envoyée en octobre au consul des États-Unis à Tunis, Hooker A.

Doolittle arrrivé en février 1941  à Tunis dans le cadre des Accords Murphy-Weygand du 20 février 1941. Il en rendra compte au Secrétaire d’État le 16 octobre 1942.

A Tunis, Moncef Bey monte sur le trône le 19 juin 1942. En août, il écrit au Maréchal Pétain pour revendiquer des réformes profondes du Protectorat (les 16 points réactualisent des propositions faites en 1922 par le vieux Destour à son père Naceur Bey ). Il devient vite très populaire.

D’autant que le DESTOUR est décapité et que la scène est vide. Seul le vieux DESTOUR se maintient et agit contre Esteva épisodiquement. Fin 1942, le Bey reprend l’initiative en nommant un cabinet plus indépendant de la Résidence. Le 1er janvier 1943, il nomme M’hamed Chenik Premier ministre d’un gouvernement qui comprend Mahmoud Materi et Salah Farhat, représentant les deux Destour. Un geste très politique qui le met au dessus des deux partis nationalistes, bien qu’il soit lui même plus proche du vieux que du néo-Destour.

Sur place, le DESTOUR est privé de direction. Habib Thameur libéré en août 1940 par l’amiral Jean Pierre ESTEVA, nouvellement nommé Résident général par Vichy, est à nouveau arrêté le 21 janvier 1941 au moment où il essayait de passer la frontière libyenne et interné dans le Sud. Un procès est engagé qui voit Me Tixier-Vignancour, en cours à Vichy, défendre les accusés.

Finalement, Thameur est condamné le 7 février 1942 à 20 ans de travaux forcés.

Une nouvelle direction du Néo-Destour se met en place menée par Rachid Driss, 24 ans, président de l’Association des jeunes musulmans. Sa durée de vie sera brève, à peine un semestre, avant d’être internée à son tour (Juillet 1941).

Quand deux jours après l’Opération TORCH, 284 paras allemands s’installent sur l’aérodrome d’EI-Aouina, les trois hommes sont dans des dispositions d’esprit incomparables vis-à-vis de l’affrontement entre les Alliés et l’Axe.

Moncef Bey refuse de choisir entre les deux camps et répond à la lettre de Roosevelt du 7 novembre 1942 lui demandant son aide par une déclaration de neutralité.

Bourguiba s’est prononcé en faveur des Alliés, mais secrètement, et il fait l’objet de tractations difficiles entre Vichy, Berlin et Rome.

Vichy, dès l’arrivée des troupes allemandes à Marseille, le transfère le 18 novembre à Fort-Montluc puis à Fort Vancia (Ain) pour le cacher. Les services allemands ( RSHA ) l’y récupèrent le 16 décembre sans tenir Vichy au courant de leurs intentions. Il ne sera remis aux italiens à Nice que le 8 janvier 1943; les 7  » historiques  » du Néo DESTOUR arrivent à Rome le lendemain. Ils y passeront un trimestre en vaines négociations. À la demande des autorités italiennes, ils rédigent le Mémorandum du 19 janvier 1943 qui fait de l’Indépendance un préalable.

À Tunis, le responsable politique allemand, Rudolf RAHN, Ministre plénipotentiaire, arrivé le 13 novembre de Paris, où il est conseiller à l’ambassade d’Allemagne dirigée par Otto Abetz, est chargé par Berlin d’assurer le calme sur les arrières des armées allemandes et de faire si possible collaborer la population à la guerre.

Il est secondé par le Consul général du Reich à Tunis MOËLLHAUSEN, mais doit coexister avec d’autres pouvoirs allemands, l’armée du Général Von Arnim, l’ABWERH et le RSHA sans parler des Italiens et des français. Georges GUILBAUD, du RPF, organise un parti unique des français pro­nazis fort actif à Tunis, où il s’oppose aux gaullistes et aux communistes, et finit par vider la Résidence de tout pouvoir.

Mais entre musulmans, français et italiens, quelle population les allemands doivent-ils soutenir ? Le 18 novembre 1942. Le Grand Mufti de Jérusalem El Hussein! leur demande la libération des dirigeants destouriens et une déclaration publique « reconnaissant ouvertement la liberté et l’indépendance des peuples du Maghreb. » Il fait miroiter la création d’une grande armée nationale  » le Maghreb pourrait fournir un demi-million de soldats braves et expérimentés  » au Reich. Refus de son officier traitant, le colonel Erwin Von LAHOUSEN, chef de l’ABWERH II, les services militaires dont il dirige la section  » subversion « . Ce serait contraire à la lettre d’Hitler à Pétain du 25 novembre 1942 qui promet  » d’aider la France à rentrer en possession de ses domaines coloniaux qui., lui ont été volés par les anglo-saxons. »

Hussein! revient à la charge et propose de s’en tenir à la seule Tunisie. L’Amiral Canaris, patron de l’ABWERH, pense à l’envoyer à Tunis prêcher la révolte. Colère des italiens. Canaris renonce; seul le frère du Grand Mufti, Moussa El Hussein! arrive à Tunis.

Les demandes du Mufti se renouvellent (12 janvier, 26 janvier, 16 mars, 20 avril ) sans plus de succès; à chaque fois, les allemands répondent non:  » l’Afrique du Nord, et en particulier la Tunisie appartiennent à la sphère d’intérêts de notre alliée, l’Italie. »

Sur place, la colonie italienne s’échauffe, la présence de l’armée italienne aidant; L’Unione, journal fasciste, interdit depuis 1940, reparait le 21 janvier 1943.

Néanmoins, Hussein! obtient la libération de Thameur et de ses amis le 1 er décembre 1942. Au total, 131 nationalistes sont libérés Rahn est obligé de batailler avec pour imposer l’amnistie générale au Résident Esteva qui ne veut pas en entendre parler.

Habib Thameur se retrouve dans une situation difficile; issu de la haute société de Tunis, apparenté à la famille beylicale, il doit tenir compte de l’aura populaire de Moncef Bey, des préférences de l’opinion musulmane plutôt favorables aux allemands par hostilité aux français; Rahn les favorise; le colonel Walther RAUFF ( RSHA ) a fait ouvrir des camps pour les juifs et fait main basse sur les richesses de la communauté ( l’or des bijouteries) il impose des frais d’occupation de 20 millions de francs, puis une amende de 15 millions de francs ) dont une modeste partie est ostensiblement distribuée aux indigents musulmans, le reste finançant les besoins allemands.

Thameur opte pour une ligne centriste de soutien à l’Axe sans s’engager dans une collaboration active avec les allemands. Rahn l’autorise à publier un quotidien à compter du 2 janvier 1943 Ifrykia el Fatah et laisse au DESTOUR de larges possibilités d’action dans la zone occupée par l’armée allemande qui se réduit rapidement. Le 23 janvier 1943, c’est la chute de Tripoli. Le 4 février, la 8é Armée britannique de Monty passe la frontière tunisienne.

L’équilibrisme de Thameur est critiqué par le  » Groupe de Paris « , une bande au service des allemands depuis 1940. En décembre 1940, un Bureau de propagande spécialisé sur la Maghreb est créé à Paris sous la direction du Consul VASSEL avec pour adjoint Aberrahmân bel Hadj Ahmed dit Yacine dit le Commandant Mourad qui était dès 1939 le 3é speaker de Radio Berlin où il intervenait en arabe dialectal tunisien. Il est arrivé à Paris le 16 juin 1940 avec les soldats allemands et il présente le docteur Mohammed Ben Salem au colonel SCHNEIDER qui l’envoie suivre un long stage dans les transmissions. Citoyen tunisien ( Bourguiba le dit syrien ), cet ancien militant du Destour parti à Madrid en 1939, choisit Béchir M’hadhbi, ancien vice-président de l’Association des Étudiants musulmans à Paris pour diriger la Section tunisienne du Bureau. Il est aidé par Slimane ben Ahmed Djirad, responsable de la cellule de Gafsa du DESTOUR.

Plus grave, Thameur est également vilipendé par son successeur Rachid Driss et Hassine TRIKI qui publient, grâce à l’intervention de Rahn, un nouveau journal pro-nazi Ech Chaab Fin Février 1942, les partisans d’Habib Bourguiba avec sinon le soutien du moins l’acquiecement tacite de Thameur ont exclu Driss et Triki du parti et du quotidien Ifrykia el Fatah. Le  » Groupe de Paris  » comme la fraction Driss poussent à l’enrôlement de jeunes tunisiens dans les rangs allemands; des tentatives sont faites, mais les soldats envoyés sur le front y font pâle figure et les résultats restent modestes.

Début avril, les allemands perdent l’initiative devant l’offensive alliée, la ligne Mareth attaquée depuis le 20 mars est percée, leur défaite s’annonce. Le 7 avril, Bourguiba débarque à l’aérodrome de Menzel Temime après une intervention ambiguë à Radio-Bari la veille. Il reprend contact avec le parti, le Bey, Rahn et Esteva. Il envisage même de participer au gouvernement que le Bey veut mettre en place. Esteva refuse le remaniement ministériel.

Le 10 avril, jour de la chute de Sfax, Esteva mobilise les tunisiens, avec le soutien du DESTOUR (et donc de Bourguiba) et contre l’avis de Moncef Bey. Devant le mécontentement populaire, Esteva recule…

En avril 1943, Bourguiba rencontre Wassila et en tombe amoureux.

Bientôt, la question qui se pose au parti est que faire quand les Alliés seront à Tunis ? Bourguiba at-il conseillé à ceux qui étaient trop compromis avec les allemands de partir avec eux ? Le 7 mai, les allemands embarquent avec eux le  » Groupe de Paris « , le Professeur Mohammed SENOUSSI de la Zitouna et 6 dirigeants destouriens:

1.  Habib THAMEUR

2.  Hassine TRIKI

3.  Rachid DRISS

4.  Taïeb SLIM

5.  Habib BOUGALFA

6.  Hédi SAÏDI

Aucun des 7 du Fort saint-Nicolas n’est de la partie. Thameur, Driss et Y. ROUISSI rejoignent le Grand Mufti à Berlin qui y a établi un Bureau du Maghreb Arabe; le BMA s’efforcera surtout de gagner la sympathie des milieux ouvriers musulmans de France par l’intermédiaire de Thameur et Triki envoyés sur place.

Bourguiba apparemment ne leur tiendra pas rigueur de leur escapade nazie; le 5 juin 1946 les 5 (sauf H. Bougalfa) arrivent au Caire avec des passeports irakiens et reconnaissent en Bourguiba le Président du Parti le 30 juin 1946. Bourguiba a-t-il plaidé leur cause auprès de son ami Taksine ASKI, Représentant de Baghdad au Caire, qui leur aurait fait obtenir des passeports irakiens ? Quel été  le  rôle  des  Britanniques qui  les  ont relâché  alors que  les  autorités françaises  les recherchaient ? Comment sont-ils passés d’Allemagne en Espagne ?

À Tunis, les alliés ne sont guère favorables aux nationalistes, ni même aux musulmans. Seuls les juifs et les communistes fêtent la victoire. Le général Catroux venu d’Alger est choqué par la froideur des musulmans lors du défilé de la Victoire à Tunis.

Le général Giraud qui est encore pour quelques semaines le patron à Alger ordonne au général Juin de faire arrêter Moncef Bey, ce qui est fait le 16 novembre après un encerclement de plusieurs jours par les troupes anglaises. Giraud a, semble-t-il, été influencé par l’ancien résident général des années 30, Marcel Peyrouton, un protégé de Darlan, qu’il avait nommé en décembre 1942 Gouverneur général de l’Algérie…

Bourguiba plonge dans la clandestinité, il y a un mandat d’arrêt émis contre lui. Le jour de l’arrivée des troupes françaises à Tunis, il fait distribuer un tract signé de son nom, favorable aux vainqueurs et qui tend la main aux nouvelles autorités françaises (texte dans Letourneau).

Il parvient le 16 mai à prendre contact avec Doolittle revenu à Tunis qui intervient auprès des autorités françaises; il est reçu début juin par le nouveau Directeur de la Sûreté, le général Louis Albert Lucien MOURÛT (1886-1952), un homme de Juin. Il s’explique, rend compte de ses prises de position et ressort libre. Mais avec l’interdiction de faire de la politique ; le Destour reste interdit. Il quittera clandestinement la Tunisie pour l’Egypte le 25 mars 1945.

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